Note de lecture

"Paysages français", Antoine Brea

par Grégoire Damon

Paysages français d’Antoine Brea est un exercice de collage à partir des rubriques des chiens écrasés de divers journaux (Le Courrier Picard, VSD, Le Parisien…), de sites touristiques de petites villes, d’Allo Ciné. Il y est question de huit drames, sordides ou mystérieux, mais surtout troués : parfois le détail du crime manque, parfois le mobile. D’autres fois encore, comme quand un groupe de touristes coréens disparaît mystérieusement au sein de la cathédrale d’Amiens, c’est une explication propre à satisfaire tant soit peu un esprit rationnel. D’autant que l’auteur mêle allègrement son français de nadsat (langue mêlée de russe inventée par Anthony Burgess dans L’Orange mécanique) ici, de picard là.

Ce qui ne veut pas dire que le livre soit compliqué à suivre. L’essentiel, on le comprend vite : c’est dans un concentré de découvertes macabres, de déviations soudaines du quotidien, d’instants où rien ne sera plus jamais comme avant que l’auteur nous invite, le genre qui laissent une onde d’horreur dans l’échine des riverains.

Brea titille les limites de choses qu’on a tendance à considérer comme allant de soi : normalité, logique, humanité même. La chose informe sans vie qu’on repêche dans un filet est-elle un « sujet de droit » ? Un employé de boucherie sans cœur peut-il aimer ? Le manque peut-il communiquer avec Dieu dans une cabine téléphonique ?

On est parfois à la limite de la SF, parfois à la limite de l’absurde voire du récit mythique. Pourtant, c’est bien la France, provinciale, banale, ensommeillée, quotidienne, celle des fins de journal de 13 heures et des éditions régionales. Elle n’en sort pas grandie, mais au moins elle existe. Car enfin, tous les patelins n’ont pas la chance d’avoir leur petit Gregory. Qui se soucie de Solre-le-Chaâteau, Belle-île-en-mer, Melrand, Amiens, Dole ? Pourtant eux aussi existent, on y vit, on y tue, on y révèle des rivalités mortelles.

Les huit récits-poèmes, par leur brièveté, par les ellipses et les manques qui les trouent, cherchent volontiers une espèce de sidération incrédule. On n’est souvent pas loin de s’esclaffer, sauf que, sauf que… Brea connaît son instrument, il en dit juste ce qu’il faut pour nimber ses poèmes comme d’une ironie bizarroïde et glacée, qui figerait plutôt les zygomatiques.

 

En fin de compte, on se demande ce qui nous a le plus dérangé : la violence et l’absurdité, ou notre propre excitation voyeuriste ?